Les premières années de l'IHES - IHES
Hivers IHES seminaire Grothendieck IHES

Les premières années de l’IHES

Léon Motchane

Léon Motchane, le fondateur de l’IHES, est né en 1900 à Saint-Pétersbourg. Il étudie à Lausanne et y est pendant une année assistant de physique. S’il quitte le monde universitaire pour celui des affaires, il ne cesse jamais de s’intéresser aux mathématiques, à la physique et à la sociologie. Pendant la guerre, il participe aux Éditions de Minuit et y publie deux essais, dont La Pensée patiente en 1943, sous le pseudonyme de Thimerais. Sa passion des mathématiques le conduit à soutenir une thèse à l’âge de 54 ans et à penser la création de l’Institut. Motchane est convaincu de deux choses : la recherche fondamentale doit être soutenue par les grands industriels et les chercheurs doivent avoir toute liberté dans leurs choix. Ces deux aspects sont la clef de voûte de l’Institut. « Le véritable aspect moderne de la recherche scientifique consiste dans le fait que le travail d’un industriel, d’un ingénieur, comme celui d’un physicien théoricien et d’un mathématicien, fût-ce le plus abstrait, ne sont pas aussi éloignés les uns des autres et la réussite des derniers devient indispensable aux premiers. » (Note sur la recherche fondamentale, Motchane, 1959)

La création de l’Institut

Avec Maurice Ponte (CSF), Pierre Dreyfus et Fernand Picard (Régie Renault), Motchane trouve les premiers subsides nécessaires à la création de son Institut. Ces premiers soutiens, très actifs, lui permettent de rallier d’autres patrons de grandes industries (notamment pétrolières et automobiles) très rapidement. Dans le bureau de Joseph Pérès (Institut de France) le 27 juin 1958, Motchane, à qui l’on doit l’essentiel du travail préliminaire, déclare vouloir « arrêter l’hémorragie française vers les États-Unis » : l’Institut est né et il en devient le premier directeur.

Les Publications Mathématiques de l’IHES

Dès la création de l’IHES, Motchane souhaite lancer une publication scientifique. Depuis l’université de Northwestern, Illinois, Dieudonné pilote avec Motchane le premier numéro des Publications Mathématiques de l’IHES dès l’automne 1958, avant même de prendre officiellement son poste de professeur permanent dans la section de mathématique avec Alexandre Grothendieck au début de l’année 1959. Motchane a une certaine expérience de l’édition acquise pendant la guerre. L’impression des « cahiers bleus » est très appréciée de Dieudonné, pourtant habitué de l’édition mathématique – il a notamment rédigé un grand nombre des traités des Éléments de mathématique de Bourbaki. « Bien reçu les premières épreuves de l’article de Wall. Comme typographie, c’est excellent, agréable à l’oeil et très lisible ; il serait à souhaiter que tous les périodiques impriment de la même façon, je crois que nous allons donner le ton ! » déclare-t-il à propos des épreuves du premier numéro.

Le choix du « Bois-Marie »

Lorsque l’Institut est créé en 1958, il ne possède pas de locaux. Les premiers séminaires ont lieu dans deux pièces, prêtées au sein de la Fondation Thiers (Paris XVIe ). Si cela n’empêche pas le développement de la section de mathématiques, les physiciens sont quant à eux préoccupés par l’installation définitive de l’Institut. Lors d’une réunion avec des physiciens renommés soutenant le projet de Motchane, ils formulent leurs souhaits : l’Institut doit s’installer à côté d’un centre de physique expérimental.
Même si la physique qui se fait à l’IHES est théorique, elle ne peut se couper de la physique expérimentale. Ils proposent alors de s’installer à proximité des laboratoires modernes qui viennent d’être construits à Orsay, où une antenne de la faculté des sciences de Paris ouvre à la fin des années 50. Motchane achète la propriété « Bois-Marie » de Charles Comar à Bures-sur-Yvette et l’IHES s’y installe en 1962.

L’esprit du lieu

Si les physiciens ont l’habitude d’exercer dans un laboratoire, il n’en est pas de même des mathématiciens qui, traditionnellement, travaillent chez eux, et se rencontrent à l’occasion de séminaires, qui se développent en grand nombre après la Seconde Guerre Mondiale. Au moment de la création de l’Institut, l’idée d’un lieu où se retrouver pour échanger et la possibilité d’avoir des bureaux est précurseur. Les premiers laboratoires de mathématiques apparaissent quelques années plus tard, vers le milieu des années 60 (centre de mathématiques Laurent Schwartz à l’École polytechnique, laboratoire de mathématiques associé au CNRS à Strasbourg). Pendant les premières années de l’Institut, le pavillon de musique sert à la fois de bibliothèque et de salle de séminaires. Il abrite notamment le fameux « séminaire de géométrie algébrique » de Grothendieck (SGA), qui offre à l’IHES une renommée internationale dès les premières années de son existence. L’IHES s’inspire explicitement du modèle de l’IAS dans ses grandes lignes intellectuelles – un institut de haut niveau offrant toute liberté à quelques chercheurs – mais aussi certaines pratiques matérielles, comme le thé quotidien, propice aux échanges.

Retrouvez l’article dans son intégralité dans la lettre d’informations 2016 de l’IHES.