Diana Davis partage ses réflexions sur la vie à l’Institut pendant le confinement - IHES
Vie scientifique

Diana Davis partage ses réflexions sur la vie à l’Institut pendant le confinement

Diana Davis a soutenu sa thèse à Brown University en 2013 sous la direction de Richard Schwartz. Pendant trois ans elle a été post-doctorante à la Northwestern University, et elle est actuellement professeure invitée à Swarthmore College, pas loin de Philadelphie. Cette visite à l’IHES est sa deuxième ; elle se rend fréquemment en France, et en Ile-de-France en particulier, pour travailler avec Samuel Lelièvre de l’Université Paris-Saclay, et avec d’autres mathématiciens des institutions voisines dans le domaine du billard et des surfaces planes.

 Au cours de son doctorat, elle a remporté un prix international pour une vidéo qui explique le résultat de sa thèse à travers la danse [1]. La vidéo a fait le tour de la communauté mathématique. Diana Davis a publié plus d’une douzaine d’articles, principalement sur des aspects du billard mathématique et des systèmes dynamiques, et donné plus de 100 conférences dans 22 États et 9 pays. Elle innove également en matière d’éducation : elle crée et enseigne des cours de mathématiques de tous niveaux, centrés sur les problèmes et fondés sur la discussion, et elle étudie leur efficacité pédagogique. En dehors de la recherche et de l’enseignement, elle aime pratiquer la course de fond, la voile, voyager et réfléchir sur la manière de construire une communauté et de créer un monde durable.

Je suis très heureuse de me trouver à l’IHES en ce moment. C’est un cadre idyllique qui offre des conditions optimales et c’est un endroit merveilleux où vivre, même pendant cette pandémie.

Je suis arrivée à l’IHES début mars depuis les  Etats-Unis ; j’avais initialement prévu de n’y rester que pendant la semaine de mes vacances de printemps. Peu après mon arrivée, mon établissement a décidé d’organiser des cours en ligne pour le reste du semestre, ce qui signifiait que je n’avais pas besoin de rentrer. L’IHES m’a généreusement autorisée à prolonger ma visite pour la durée de mon visa Schengen. Cette décision a peut-être été facilitée par le fait que la frontière française était fermée et que l’IHES n’acceptait plus de visiteurs, car personne n’aurait pu se servir du bureau ou du studio que j’utilisais.

Pendant ma première semaine ici, alors que tout était encore à peu près normal, j’ai travaillé chaque jour avec mon collaborateur de longue date, Samuel Lelièvre, de l’Université Paris-Saclay ; j’ai donné une conférence à Jussieu et discuté avec d’autres membres de l’Institut à l’heure du déjeuner et du thé quotidiens.  À la fin de cette semaine, la France a été mise en confinement et l’IHES a été fermé jusqu’à nouvel ordre.

Du jour au lendemain, nos vies se sont limitées à la résidence de l’Ormaille et aux vidéoconférences. J’ai continué à travailler longuement avec Samuel sur Skype tous les soirs. J’ai donné plusieurs heures de cours sur Zoom l’après-midi, trois jours par semaine, (le matin sur la côte Est des États-Unis), et j’ai assisté aux réunions Zoom avec des collègues de mon département, tout en restant disponible en ligne pendant les horaires de bureau là-bas.

En semaine, j’ai organisé un thé quotidien, pour remplacer celui qui n’a plus lieu à l’IHES. Pendant environ un mois, cela s’est passé sur Zoom, et nous étions trois ou quatre à apparaître chaque jour à l’écran, avec notre propre tasse de thé et notre goûter. Parfois, d’autres personnes nous rejoignaient en dehors de l’Ormaille : Fanny Kassel, par exemple. Maintenant qu’il fait beau, nous prenons le thé à l’extérieur, assis à quatre mètres de distance sur une grande place ou un pentagone sur la pelouse de l’Ormaille.

La vie est différente pendant l’enfermement, mais elle reste tout de même merveilleuse. Ici, à Bures-sur-Yvette, nous avons tout ce dont nous avons besoin : deux épiceries (Auchan et La Fourmi Verte) accessibles à pied, de jolis endroits pour se promener dans un rayon d’un kilomètre autour de notre maison, et plusieurs grands espaces herbeux au sein de la résidence de l’Ormaille. Les marchés fermiers sont fermés, et les agriculteurs font désormais des livraisons – nous sommes plusieurs à commander ensemble une boîte hebdomadaire de légumes chez Potagez-moi. Nous nous réunissons à l’extérieur, la boîte étant posée sur une table de pique-nique ronde, nous nous répartissons tout autour et passons une heure agréable à discuter et à partager les contributions culinaires.

Le temps a été ensoleillé et chaud, j’ai donc pu garder mes grandes fenêtres ouvertes, et un vent léger et tiède circule dans mon appartement toute la journée. J’ai beaucoup couru en profitant de deux superbes endroits, propices à la course dans notre rayon d’un kilomètre : le campus d’Orsay de l’Université Paris-Saclay, et les sentiers dans la forêt juste au nord de l’université. Début avril, le sol était couvert de petites fleurs violettes. À la mi-avril, les arbres ont fleuri, et des lilas violets et des glycines ont orné les rues de Bures-sur-Yvette. Fin avril, les buissons sont en fleurs et les allées de l’université sont bordées de fleurs blanches des deux côtés.

C’est fantastique  de pouvoir travailler l’après-midi, en raison du décalage horaire de six heures avec la côte Est des États-Unis. Cela me permet de me réveiller naturellement, de courir, de prendre un petit déjeuner, de travailler, puis de commencer à enseigner à 15h30, ce qui est bien plus facile que d’arriver en classe à 9h30.

Comme tout se passe à distance, j’ai pu faire un exposé avec mon collègue Samuel, dans le cadre de notre collaboration. Nous n’avions jamais fait de conférences ensemble, car nous étions rarement au même endroit, mais là, nous avons pu tous les deux présenter les différentes parties de notre exposé via Zoom. J’ai fait une introduction et décrit nos méthodes et nos résultats, puis Samuel a fait une démonstration de notre logiciel en direct.

Ce confinement a été une expérience sociale intéressante. Au fil des années, les gens ont souvent imaginé « qu’à l’avenir, nous resterions tous chez nous et nous nous contenterions d’interagir avec les gens en ligne », mais cette période a montré qu’un tel mode de vie n’est vraiment pas souhaitable. Les gens disent aussi que « de nos jours, les jeunes préfèrent échanger virtuellement avec leurs amis plutôt que de passer du temps avec eux en personne », mais je peux affirmer catégoriquement que mes neveux et nièces donneraient n’importe quoi pour pouvoir retrouver leurs amis dans la vraie vie.

Par ailleurs, j’ai souvent parcouru de grandes distances par le passé, pour donner une conférence ou me présenter à une réunion avec mes collègues, même si c’était compliqué pour moi d’y assister. Aujourd’hui, je peux le faire depuis mon salon, sans contribution aux émissions à effet de serre, sans frais de déplacement, sans frais d’hôtel et sans temps de trajet. J’espère que nous continuerons de faire en sorte que cela continue à l’avenir – que plus de conférences soient enregistrées, que davantage de  conférences ou de réunions puissent être organisées sur Skype ou Zoom, et que cela soit considéré comme un choix raisonnable.

Je suis très reconnaissante à l’IHES de m’avoir accueillie pendant cette période, et pour les amitiés que j’ai nouées avec Katie, Aaron, Alex, Ariyan, Ami et Arthur ici à l’Ormaille pendant cette période étrange et merveilleuse.

 

[1] Cutting Sequences on the Double Pentagon, explained through dance