À la découverte des points fixes : une avancée majeure en physique théorique grâce aux réseaux de tenseurs - IHES
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À la découverte des points fixes : une avancée majeure en physique théorique grâce aux réseaux de tenseurs

Trois chercheurs, Slava Rychkov, professeur permanent à l’IHES, son étudiant en thèse Nikolay Ebel, et Tom Kennedy, professeur émérite de mathématiques à l’Université d’Arizona, viennent de publier un article intitulé “Rotations, Negative Eigenvalues, and Newton Method in Tensor Network Renormalization Group” dans la prestigieuse revue scientifique internationale Physical Review X. Leur travail marque une avancée significative dans la compréhension des points fixes dans les modèles de réseaux statistiques, combinant innovation mathématique et précision numérique inédite pour explorer des phénomènes critiques longtemps restés théoriques.

En physique statistique, les modèles de spins sur un réseau, comme le célèbre modèle d’Ising ou le modèle des trois états de Potts, servent de laboratoires pour explorer les transitions de phase, c’est-à-dire des changements radicaux du comportement d’un système, comme le passage de l’eau de l’état liquide à l’état gazeux. Les points critiques, observables uniquement dans des conditions très précises de température ou de pression, correspondent à des situations où le système reste fondamentalement le même lorsqu’on modifie l’échelle à laquelle on l’observe. Ces configurations particulières correspondent à ce qu’on appelle des points fixes d’une transformation de renormalisation. « Un point fixe, c’est une transformation qui laisse le système inchangé », expliquent les chercheurs. « Pour un phénomène critique, cela signifie que le système reste exactement le même après un changement de résolution. Étudier ces points fixes revient donc à analyser directement les propriétés fondamentales du phénomène critique. »

La nouveauté de leur approche réside dans l’utilisation des réseaux de tenseurs, qui représentent les probabilités des différentes configurations locales plutôt que l’énergie totale des interactions entre spins. Cette représentation locale et stable permet de suivre de façon précise la transformation du système vers son point fixe. L’élément clé de leur méthode est l’introduction d’une rotation de 90° du réseau, ce qui change le signe des valeurs propres marginales — des directions de transformation qui autrement forment une famille continue de points fixes difficile à isoler. Cette modification rend possible l’application directe de la méthode de Newton, un outil mathématique classique pour résoudre des équations complexes, et permet d’atteindre une précision numérique exceptionnelle de 10^-9, bien supérieure à ce qui avait été réalisé auparavant.

Pour valider leur méthode, ils ont choisi le modèle d’Ising et, sur suggestion d’un relecteur, le modèle de Potts à trois états. « Ces modèles sont bien connus, assez simples pour tester de nouvelles méthodes, mais physiquement très riches », expliquent-ils. Les résultats obtenus ont confirmé l’efficacité de leur approche et ouvrent la voie à des applications sur des modèles plus complexes. Selon l’équipe, il n’y a pas eu un « moment eurêka » unique, mais plutôt une série de petites confirmations à chaque étape, chaque succès renforçant leur confiance dans la méthode.

Bien que cette recherche soit très théorique, elle jette les bases d’avancées potentielles dans la physique mathématique et, indirectement, dans d’autres domaines. La méthode pourrait un jour permettre des preuves rigoureuses de l’existence des points fixes, un résultat majeur qui consoliderait les fondements de la physique statistique. « Ces phénomènes critiques sont rares et difficiles à observer dans la vie quotidienne », précisent-ils. « Mais comprendre ces transitions fondamentales pourrait inspirer à terme des technologies liées au contrôle de la matière ou des dispositifs quantiques.»

Cette publication démontre qu’il est possible de déterminer les points fixes des modèles de réseaux statistiques avec une précision numérique sans précédent. L’approche combine des techniques classiques de calcul numérique, comme la méthode de Newton, avec la représentation par réseaux de tenseurs et l’introduction d’une rotation du réseau, ce qui permet d’isoler les points fixes et de contourner les difficultés liées aux déformations marginales, qui autrement forment une famille continue difficile à traiter. Les résultats obtenus pour les modèles d’Ising et de Potts montrent que cette méthode est efficace et ouvre la voie à des analyses plus rigoureuses de points fixes dans d’autres systèmes statistiques complexes.