Hommage à Pierre Cartier par Francis Brown
Thomas Edison disait que le génie était fait « d’un pour cent d’inspiration et de quatre-vingt-dix-neuf pour cent de transpiration. » S’il avait connu Pierre Cartier, il n’aurait sans doute pas oublié la troisième caractéristique du génie, peut-être la plus importante : l’art de la conversation. Cartier s’intéressait à absolument tout et adorait discuter avec les gens, peu importe leur statut ou leur milieu social. Les échanges avec Cartier, et son enseignement, ont influencé et inspiré toute une génération de mathématiciens et mathématiciennes.
Cartier avait non seulement une connaissance encyclopédique en mathématiques et en physique, mais également en histoire, en politique, et dans bien d’autres domaines. Il a toujours accordé beaucoup d’importance aux discussions avec les étudiants et, pour le plus grand plaisir de ces derniers, il parsemait invariablement ses propos d’anecdotes sur telle ou telle figure légendaire des mathématiques. Il avait un vrai talent pour accompagner les étudiants qui s’égaraient dans leur recherche ou qui, de manière générale, étaient en difficulté, en les prenant sous son aile (j’en fais partie, et je lui en serai toujours reconnaissant).
Ce qui m’a le plus marqué chez Cartier, c’est son ouverture d’esprit. Il voyait l’humain avant le mathématicien et traitait tous ses collègues de la même manière, qu’ils soient étudiants, jeunes chercheurs, ou scientifiques de grand renom.
La réputation de Cartier lui a permis de beaucoup voyager, et même octogénaire, il continuait d’être invité dans le monde entier (je l’ai connu bien après son départ à la retraite et il est resté actif et plein d’énergie pendant encore des années après notre rencontre). Pendant une de ses visites, son hôte envoya un étudiant mal informé l’accueillir à la gare. Après s’être enquis du nom du visiteur, l’étudiant demanda à Pierre s’il était de la même famille que le fameux Cartier qu’il connaissait de ses livres de cours. Il ne pouvait s’imaginer que ce même Cartier se trouvait bien devant lui. Après réflexion, Pierre répondit modestement : « Mmmm. C’était mon oncle ! ».
Cartier croyait fermement en l’unité profonde entre les mathématiques et la physique. Il avait une vision si large de ces deux disciplines qu’il arrivait toujours à placer chaque percée dans son contexte historique et intellectuel. Il était également persuadé que les questions les plus importantes à étudier étaient celles qui se trouvaient à l’intersection de plusieurs domaines différents, et qu’il fallait s’appuyer sur toutes les techniques disponibles pour avancer sur leur résolution. Il aimait dire qu’il avait deux mains pour faire les mathématiques, et qu’il était inutile de se contraindre à travailler avec une main derrière le dos.
La présence de Pierre à l’Institut était une constante pour beaucoup d’entre nous et il est difficile d’imaginer l’IHES sans lui. Le son de sa voix et de son rire éclatant, instantanément reconnaissables, faisaient toujours témoin de sa présence. Il va nous manquer.
Crédit photo : © Jean-François Dars / IHES