Entretien avec Alexander Goncharov - IHES
Alexander Goncharov IHES

Entretien avec Alexander Goncharov

Professeur en mathématiques à l’université de Yale depuis 2010, Alexander Goncharov est le premier titulaire de la chaire Gretchen et Barry Mazur. Il s’intéresse à différents domaines des mathématiques et de la physique mathématique, comme la théorie des motifs, la théorie de Hodge, la théorie des représentations, la théorie de Teichmüller supérieure et sa quantification.

Quelle est l’origine de votre intérêt pour les mathématiques ?

Enfant, j’étais fasciné par l’astronomie et la physique nucléaire. à l’époque, même dans ma petite ville d’Ukraine, on pouvait trouver de bons livres de vulgarisation scientifique sur ces sujets. Par exemple, je me souviens du livre Entertaining Nuclear Physics de Mukhin, qui fournissait des explications sérieuses, mais de façon ludique. Je l’ai lu plusieurs fois, comme je l’avais fait avec les Les Trois mousquetaires.
Plus tard, mes centres d’intérêts ont évolué vers les mathématiques : j’aimais résoudre des problèmes et lire le magazine Kvant (un magazine de vulgarisation scientifique).
En 1976, j’ai été admis à l’université de Moscou. Le premier lundi de septembre, j’ai assisté au séminaire d’Israel Gelfand, qui est devenu l’endroit où j’ai grandi mathématiquement. J’ai beaucoup appris de D. Fuchs, J. Bernstein, S. Gindikin, Y. Manin et A. Beilinson. Moscou était une ville fantastique pour l’apprentissage des mathématiques. Mais, pour un jeune mathématicien, il n’était pas facile de survivre à l’inévitable collision avec l’administration. I. Gelfand et S. Gindikin m’ont aidé là-dessus.

Quels sont vos intérêts de recherche ?

En mathématiques, j’aime être à la croisée de différents domaines. Depuis le milieu des années 80, j’étudie les intégrales issues de la géométrie algébrique, en utilisant des méthodes, souvent conjecturales, de la géométrie arithmétique. Cela permet de faire des prédictions sur les intégrales sans les calculer – ce que j’appelle « analyse arithmétique. » L’étude de ces intégrales est une vieille entreprise qui a motivé, de manière significative, le développement de la géométrie algébrique. Des idées entièrement nouvelles ont conduit à l’idée de Grothendieck des motifs et, plus important encore, aux conjectures de Beilinson sur les motifs mixtes. En utilisant ces idées comme principes directeurs, on peut prédire les valeurs des intégrales en effectuant des calculs algébriques simples, ce qui est au cœur même de ce que je fais : j’utilise les intégrales pour mieux comprendre la théorie des motifs, et j’applique la philosophie des motifs à l’étude des intégrales.

Comment votre relation avec l’Institut a-t-elle évolué au fil des ans ?

Je suis venu à l’IHES pour la première fois en 1990, juste après l’ouverture des frontières de l’URSS. Depuis, ma principale motivation pour y revenir est M. Kontsevich – nous nous sommes rencontrés il y a presque 40 ans, et nous discutons de mathématiques depuis.
Mais à l’IHES, on a aussi l’occasion de faire beaucoup de rencontres, ce qui rend la vie agréablement imprévisible. Par exemple, en 1996, j’ai rencontré D. Kreimer, et j’ai découvert les étonnants calculs que lui et D. Broadhurst faisaient en théorie quantique des champs. J’ai suggéré que l’on devrait appliquer les techniques d’analyse arithmétique dans les calculs perturbatifs des intégrales de Feynman. En particulier, il fallait adapter les fonctions de corrélation à leurs avatars motiviques – les fonctions de corrélation motiviques – qui se trouvent dans l’algèbre de Galois Hopf motivique. Cela a donné lieu à de nouvelles perspectives et soulevé de nouvelles questions.
Depuis janvier 2019, je suis le premier titulaire de la chaire Gretchen et Barry Mazur à l’Institut, et c’est un grand honneur pour moi.

Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans ce que vous faites ?

Cela me plaît beaucoup quand je pressens un mystère mathématique. Par exemple, les symétries motiviques n’apparaissent qu’a posteriori. Pourtant, dans la réalisation réelle de Hodge, on peut les rendre visibles en écrivant une seule intégrale de Feynman. Il semble donc que les idées mathématiques, qui sous-tendent le paradigme de la théorie quantique des champs, joueront un rôle essentiel dans notre description du monde des motifs.