Entretien avec Philibert Nang - IHES
Philibert Nang Vie scientifique

Entretien avec Philibert Nang

Au cœur de la mission de l’IHES il y a la promotion des échanges internationaux, des rencontres spontanées entre les chercheurs et la garantie de leur liberté de recherche. Pour pouvoir l’accomplir, il est fondamental de permettre la circulation des chercheurs et des idées d’une institution à l’autre, ce qui accélère la diffusion des connaissances.

Depuis des années, l’IHES a développé une coopération fructueuse avec des mathématiciens venant d’Afrique. Grâce aux dons généreux de la Fondation Schlumberger, entre 2004 et 2009, et de la Fondation Lounsbery, entre 2013 et 2015, l’Institut a pu accueillir un flux régulier de scientifiques africains pour des visites de recherche.

Le soutien spécifique de cette activité s’est achevé en 2015. À présent l’IHES continue à accueillir des visiteurs africains, mais sans le cadre privilégié qui leur permettait de se voir rembourser les frais de transport, constituant souvent un obstacle difficile à surmonter. Un entretien avec le mathématicien Philibert Nang, professeur de l’Ecole Normale Supérieure de Libreville, au Gabon, nous aide à comprendre l’importance des programmes de visites internationaux comme celui de l’IHES.

S’intéressant à l’analyse algébrique et en particulier à la théorie des D-modules, Philibert Nang a visité l’IHES pour la deuxième fois cette année, entre le 17 septembre et le 5 décembre. Il avait déjà été à l’Institut en 2008, dans le cadre d’une visite financée par la Fondation Schlumberger. C’était grâce aux affiches et aux brochures que l’IHES avait diffusées pour promouvoir le programme Afrique dans les universités africaines, où la connexion internet est souvent défectueuse, qu’il avait pu prendre connaissance du programme de visites de l’IHES.

Quel est l’impact de votre séjour à l’IHES sur votre travail ?

Pour comprendre l’importance des séjours à l’étranger pour un chercheur africain il faut d’abord savoir que les universités au Gabon sont extrêmement sous-équipées. Il n’y a souvent même pas de bibliothèque et, quand il y en a une, les livres sont obsolètes.
Cela est vrai même si le Gabon n’est pas considéré comme un pays pauvre en développement, mais plutôt comme un pays en développement à revenu moyen : la connexion internet est très lente et, de plus, les universités ne peuvent pas payer l’accès à la plupart des journaux scientifiques en ligne. Cela est un énorme handicap pour un chercheur qui a besoin de se tenir au courant des travaux les plus récents et qui se nourrit d’idées pour pouvoir en avoir de nouvelles.
De ce point de vue la position du Gabon est même plus difficile que celle d’autres pays qui sont considérés comme pauvres en développement, qui ont accès à des programmes spécifiques, mis en place par des instituts comme l’ICTP de Trieste, ou des organismes liés à l’UNESCO. Ces institutions permettent au pays pauvres en développement un accès limité aux journaux électroniques.
De plus, au Gabon les universités n’ont pas une politique de financement des séjours à l’étranger pour les chercheurs. Des instituts comme l’IHES – ou le Max Planck Institute for Mathematics de Bonn, en Allemagne, permettent aux chercheurs de l’Afrique sub-saharienne de travailler avec des chercheurs à la pointe dans leur domaine.
L’IHES est une grande chance pour moi. J’y retrouve une atmosphère scientifique exceptionnelle. Ce qui contribue à rendre cette atmosphère si fertile sont les séminaires quotidiens, des cours de très haut niveau, le partage de ses travaux avec des scientifiques de renommée internationale. Tout cela fait ainsi qu’un mois de travail ici est équivalent à 4-6 mois de travail au Gabon. Mon séjour ici va me permettre de faire des progrès substantiels dans mes publications, dans mon travail.

Est-ce qu’il y a d’autres aspects de la vie à l’IHES qui contribuent à le rendre un endroit favorable pour un chercheur ?

À l’IHES il y a une atmosphère très paisible et calme, propice pour faire avancer ses travaux. De plus, l’IHES s’occupe aussi de mon hébergement. Il n’existe aucune institution que je connais, qui loge gratuitement les chercheurs avec leur famille. Compte tenu de la situation politique du Gabon au moment de mon séjour, le fait d’avoir ma famille à côté me permet de travailler dans de bonnes conditions et d’obtenir un progrès substantiel dans mes travaux, ce qui aurait été beaucoup plus difficile sans ma famille.
La résidence de l’Ormaille, où je suis hébergé avec ma femme et mes filles, est très confortable, spacieuse et agréable. En outre, le fait que notre appartement soit équipé de tout appareil électroménager moderne et que l’on dispose d’une connexion internet très rapide est très exceptionnel pour nous.
Je trouve aussi que la présence d’un personnel administratif efficace et dynamique comme celui de l’IHES, constitue une présence importante, permettant aux chercheurs de se concentrer sur l’avancement de leur recherche, comme ce sont eux qui s’occupent de toute pratique bureaucratique.

Est-ce que vous avez des suggestions pour améliorer le programme visiteurs de l’IHES ?

Il serait important de continuer avec le programme Afrique : en invitant des chercheurs à séjourner en France, l’IHES contribue de façon considérable à la promotion des mathématiques et de la physique théorique en Afrique.
J’aimerais pouvoir profiter de visites plus longues, cela permettrait plus de continuité dans le travail. En outre, ce serait important pour des pays scientifiquement isolés comme le Gabon et d’autres pays de l’Afrique sub-saharienne, de pouvoir accéder aux bases de données de l’IHES, en particulier de permettre l’accès aux journaux électroniques à distance. Cela faciliterait beaucoup mon travail au Gabon.

 

photo credit : ICTP