Henri Epstein et la physique mathématique - IHES
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Henri Epstein et la physique mathématique

Henri Epstein a rencontré Louis Michel en 1955, lors de sa dernière année en tant qu’élève de l’École polytechnique. Cette rencontre, cruciale pour la suite de sa carrière, l’a orienté vers la physique théorique. Peu de temps après, il a suivi le cours d’Arthur S. Wightman sur la théorie axiomatique des champs quantiques au Collège de France, sujet sur lequel il a réalisé ses premiers travaux de recherche. Après avoir rédigé sa thèse, Henri a été membre du personnel du département de physique théorique du CERN de 1967 à 1970. Il rejoint l’IHES en tant que chercheur CNRS en 1971.

Dans les années 1960, Henri a obtenu des résultats remarquables sur la non-positivité de la densité d’énergie (en collaboration avec Vladimir Jurko Glaser et Arthur Jaffe) ainsi que sur les propriétés d’analyticité, dont la relation de symétrie de croisement, pour les amplitudes de diffusion 2→2 (avec Jacques Bros et Glaser). Ce dernier résultat, devenu aujourd’hui classique, constitue l’une des bases du programme Bootstrap de la matrice S, qui a récemment connu un important regain d’intérêt.

Marcel Berger, Henri Epstein, Louis Michel et Oscar Lanford lors d’une interview pour un magazine scientifique © IHES

Au cours des années 1970, le travail d’Henri sur la théorie quantique des champs a abouti à la célèbre construction d’Epstein-Glaser en théorie causale des perturbations. Cette construction permet notamment de traiter rigoureusement les divergences ultraviolettes des diagrammes de Feynman. Les implications et conséquences de cette approche, en particulier pour la théorie de la perturbation en théorie conforme des champs, font toujours l’objet de recherches.

Dans les années 1980, Henri s’est intéressé aux systèmes dynamiques discrets, et plus particulièrement à la propriété d’universalité de Feigenbaum. Il est à l’origine d’une nouvelle preuve ingénieuse de l’existence de points fixes pour l’équation de Feigenbaum-Cvitanović, fondée sur le théorème du point fixe de Schauder-Tikhonov. Contrairement à la première preuve, due à Oscar Lanford III, le raisonnement d’Henri ne nécessite pas le recours à l’informatique.

Oscar Lanford, Louis Michel, Henri Epstein et Marcel Berger travaillant à un ordinateur © IHES

La dernière partie de la vie et de l’activité scientifique de Henri a principalement été consacrée à l’étude des champs quantiques sur les univers de Sitter et de anti de Sitter, en collaboration avec Jacques Bros, Ugo Moschella et, occasionnellement, Michel Gaudin et Vincent Pasquier. Les modèles de de Sitter sont des solutions des équations d’Einstein cosmologiques sans matière et jouent un rôle central en physique théorique contemporaine. D’un point de vue mathématique, il s’agit de variétés analytiques Lorentziennes, structures qui se prêtent particulièrement bien à l’application des méthodes issues de la théorie des fonctions analytiques de plusieurs variables complexes en théorie des champs, dont Henri était le dernier grand maître, héritier d’une époque glorieuse. Les résultats obtenus par Henri et ses collègues sur une période de plus de 25 ans, vont des propriétés structurelles générales des théories des champs de Sitteriennes jusqu’au calcul de formules exactes comme les formules de Källén-Lehmann par exemple. Ces formules ont des conséquences surprenantes sur la stabilité des particules et sur l’existence d’états liées.

Henri Epstein lors d’une conférence à l’IHES en 2022 © IHES

Henri a été au travail jusqu’aux derniers jours de sa vie, jusqu’à quand cela a été possible. Son dernier papier est paru le jour même de sa mort. Il aimait la beauté et l’élégance dans sa recherche comme aussi dans les autres choses de la vie, la littérature, la musique. Son sens de l’humour et sa clarté d’esprit rendaient le travail avec lui un plaisir, une joie. Jusqu’à la fin il est resté jeune d’esprit, enthousiaste, sincère, généreux. Mozart et Schubert, qu’il aimait tant, l’ont accompagné dans son dernier voyage.

Ugo Moschella et Slava Rychkov